L’Empire allemand et l’accroissement de la puissance par l’économie (1871-1914)
En 1871, émerge l'Empire allemand, fruit de l'unité prussienne et de triomphes militaires. Moins d'un demi-siècle plus tard, cet empire est déjà en mesure de défier la suprématie britannique. Il paraît donc essentiel d'étudier les dynamiques économiques ayant permis l’incontestable développement de la puissance allemande.
PUISSANCEINDUSTRIE
Jules Basset

Au cœur de l'essor économique et industriel du IIème Reich, l'Allemagne s'est affirmée comme le leader de la deuxième Révolution industrielle, orchestrant une sorte de « Blitzkrieg économique » à travers l'Europe et au-delà. À l'aide d'innovations techniques, d'une stratégie d'intégration industrielle et d'une expansion internationale méticuleuse, elle a su remodeler le paysage économique mondial à son avantage. Théorisé par Christian Harbulot, le concept « d’accroissement de puissance par l’économie » donne les clés nécessaires à la compréhension de cette stratégie politique et économique qui a permis à la jeune Allemagne de devenir une puissance mondiale.
La naissance d’une puissance industrielle
Pour comprendre la métamorphose de l'Allemagne en une formidable puissance industrielle, il faut analyser les mécanismes qui ont façonné son économie. Il est alors intéressant d’observer le cas des Konzerns et des cartels allemands pendant le IIème Reich. Reflétant une particularité de l'économie allemande liée à sa culture et à son histoire politique, ils résultent d'une concentration économique encouragée par un État favorisant la discipline et la soumission à des structures contrôlées. Contrairement à d'autres formes de concentration économique observées aux États-Unis avec les trusts ou en Grande-Bretagne orientée vers un impérialisme commercial, en Allemagne, cette concentration prend une forme plus contraignante et étroitement régulée. Les cartels, qui sont des accords entre entreprises restant autonomes, et les Konzerns, équivalents aux trusts américains, s'imbriquent dans une économie de coopération et de contrôle mutuel appelée Verbundwirtschaft. Cette structure économique spécifique permettait à un nombre limité de personnes et de familles, tels que Krupp, Haniel et Stinnes, de maintenir un contrôle oligarchique ou dynastique sur ces vastes empires industriels. La puissance de ces entités était telle qu'en 1932, près de la moitié des sociétés par actions et plus des trois quarts de leur capital étaient impliqués dans des Konzerns, soulignant ainsi la profonde intégration et l'influence de ces structures dans l'économie allemande.
De l’autre côté, les exemples du cartel de la chimie fondé en 1904, regroupant AGFA, BAYER, et BASF, illustrent parfaitement la dynamique et l'impact de ces derniers dans l'économie allemande. Le cartel de la chimie symbolise la capacité de l'industrie chimique allemande à se structurer en vue de maximiser l'efficacité de la production et de la distribution, ainsi que de contrôler les prix au sein d'un marché hautement compétitif. Cette entente entre géants de la chimie a permis d'accroître leur puissance sur le marché mondial, en consolidant leurs ressources et en optimisant leurs stratégies commerciales et de production. D'un autre côté, le « Kohlensyndikat », fondé en 1893, représente un exemple précoce et influent de concentration industrielle autour du charbon, une ressource clé de l'époque pour la révolution industrielle et particulièrement pour l'industrie sidérurgique. En regroupant les producteurs de charbon sous une même entité qui contrôlait l'achat, la vente, et surtout les prix et les quotas de production, ce cartel a joué un rôle crucial dans la stabilisation et l'augmentation artificielle des prix du charbon, ce qui a bénéficié à ses membres en assurant des revenus stables et élevés. Hugo Stinnes, en particulier, a su exploiter cette structure pour réaliser une intégration verticale de ses activités, en étendant son empire industriel par l'acquisition et la modernisation de concessions minières, ce qui a renforcé son influence économique et politique.
L'ascension industrielle de l'Allemagne, illustrée par l'exemple de la mine de Zollverein dans la Ruhr et le développement des Konzerns et cartels, illustre l'importance de l'intelligence économique et la maîtrise des ressources naturelles. Cette combinaison a permis à l'Allemagne de mettre en place une politique économique efficace, propulsant sa puissance industrielle et internationale. La capacité à exploiter stratégiquement le charbon a non seulement soutenu la sidérurgie et la chimie, secteurs clés de son économie, mais a aussi renforcé sa position sur les marchés mondiaux grâce à une gestion fine de la production, de la distribution, et des prix. En résumé, l'expérience allemande montre comment le contrôle des ressources naturelles et l’utilisation de méthodes d'intelligence économique sont des leviers essentiels pour accroître la puissance d'un pays.
Une nation innovante
Le « Kohlensyndikat », en orchestrant non seulement la production et la vente de charbon mais aussi en favorisant l'adoption des procédés Bessemer et Thomas, a joué un rôle pivot dans la transformation de l'industrie sidérurgique allemande durant le IIème Reich. Ces procédés ont révolutionné la fabrication de l'acier en permettant la déphosphorisation et l'utilisation efficace de minerais de fer phosphoreux abondants dans des régions comme la Moselle, la Lorraine, et le Luxembourg. Cette avancée technologique a entraîné une baisse significative des coûts de production de l'acier, permettant ainsi à l'Allemagne d'augmenter sa compétitivité sur les marchés internationaux, notamment en exportant vers des territoires comme l'Inde et l'Australie. Cette réduction des coûts de production n'était pas uniquement due à la baisse des prix du minerai de fer traité mais aussi à une stratégie de rationalisation des coûts de main-d'œuvre. Bien que les salaires des mineurs et ouvriers allemands aient été traditionnellement inférieurs à ceux de leurs homologues britanniques, ils ont commencé à converger grâce à une amélioration de la productivité liée directement à l'efficacité des nouveaux procédés de fabrication de l'acier. Cette dynamique souligne que l'avantage concurrentiel de l'Allemagne ne résidait pas seulement dans la réduction des coûts de la main-d'œuvre, mais de plus en plus dans le niveau supérieur de productivité de ses installations industrielles.
En parallèle, une autre stratégie a été mise en place pour protéger et promouvoir l'industrie sidérurgique allemande : l'imposition de droits de douane sur le fer et l'acier anglais importés. Ce mécanisme réglementaire a non seulement protégé le marché intérieur allemand contre la concurrence britannique mais a également permis aux industriels allemands d'augmenter leurs prix sur le marché domestique. Les profits ainsi générés ont financé des réductions de prix à l'exportation, rendant les produits allemands plus attractifs sur les marchés internationaux et sapant la position concurrentielle de l'Angleterre à la fois sur le marché allemand et sur les marchés d'exportation.
Ces tactiques montrent comment l'Allemagne du IIème Reich a utilisé une combinaison de progrès technologiques et de manœuvres réglementaires et économiques pour consolider sa position de puissance industrielle montante. En tirant parti de l'innovation technologique pour réduire les coûts de production et en mettant en œuvre des politiques économiques stratégiques pour protéger et promouvoir ses industries à l'échelle nationale et internationale, l'Allemagne a réussi à transformer ses capacités industrielles en un levier de puissance économique et de compétitivité sur le marché mondial.
Le « Made In Germany » ; du piège… à l’atout
Face à la menace économique allemande, les britannique répondent avec le « Merchandise Marks Act » en 1887. Désormais le label « Made in Germany » est obligatoirement apposé sur les produits allemands. À cette époque, ces derniers étaient souvent vus comme des imitations bon marché des innovations britanniques, notamment dans des secteurs clés tels que la sidérurgie et la métallurgie. Cette perception était en partie due à la stratégie des industriels allemands de l'époque qui, confrontés à une concurrence intense, avaient opté pour la reproduction à moindre coût de produits étrangers afin de gagner des parts de marché à l'international. Le label était donc perçu comme un moyen de mettre en garde les consommateurs contre ces produits de moindre qualité, en espérant les dissuader de les acheter.
Cependant, ce qui était initialement envisagé comme un obstacle s'est rapidement transformé en un avantage stratégique pour l'Allemagne. Consciente du défi que représentait ce label pour son image à l'étranger, l'industrie allemande a entamé un processus d'amélioration significative de la qualité de ses productions. L'investissement dans l'innovation, l'accent mis sur la recherche et le développement, ainsi que l'adoption de standards de production plus élevés ont conduit à une nette amélioration de la qualité des produits allemands.
Paradoxalement, le label « Made in Germany » est devenu synonyme de qualité et de fiabilité, renversant complètement la perception initiale. Les consommateurs internationaux, y compris au sein de l'Empire britannique, ont commencé à associer ce label à des produits supérieurs, contribuant ainsi à l'essor des exportations allemandes. Cette évolution a coïncidé avec une période de croissance et de consolidation industrielle en Allemagne, marquée par l'émergence de géants industriels et d'une main-d'œuvre hautement qualifiée, renforçant davantage la réputation des produits allemands sur les marchés mondiaux. Le constat de la victoire économique allemande sera finalement fait en 1896 avec le rapport britannique « Made In Germany » de Ernest Edwin Williams.
L’hégémonie économique continentale
La stratégie économique allemande sur le continent européen, et en particulier dans ses rapports de force avec la France, illustre la dominance et la perspicacité commerciale du IIème Reich à l'aube de la Première Guerre mondiale. On assiste alors à un véritable « siège économique » allemand, où la France peine à trouver des solutions efficaces. Ainsi, lorsque la France augmente les tarifs douaniers en 1892, les industriels d'outre-Rhin se mettent à créer des filiales discrètes en France. Ces entités, variant de petites unités de fabrication à de simples dépôts-vente, ont permis à l'Allemagne de contourner efficacement les barrières douanières, d'accaparer d'importantes parts de marché et d'augmenter significativement ses importations en France — de 43 % entre 1898 et 1905, puis de 38 % entre 1905 et 1909 —, positionnant ainsi Berlin comme le troisième fournisseur de Paris. À partir de 1912, c’est même l’Action française qui se charge d’une série d’articles pour dénoncer le camouflage des entreprises allemandes. Effectivement, celles-ci n'apparaissaient pas sous leur vraie nationalité et préféraient se présenter sous des appellations très floues, voire mensongères, comme « Société française de... ».
Au final, dans des secteurs clés tels que l'automobile, l'électricité, les chaudières et le textile, la stratégie d'implantation locale s'est avérée fructueuse. Elle se révélera de manière la plus flagrante lors des séquestres des biens industriels allemands par les Français au début de la Grande Guerre. Plus frappant encore, on peut noter l'acquisition par les Allemands de plus de 17 000 hectares de bassins miniers français avant 1910 (soit un cinquième de l'ensemble des gisements exploités à l'époque en France). En 1914, Henri Andrillon s'est d’ailleurs insurgé contre cette invasion économique allemande, pointant du doigt la concurrence allemande dans des secteurs aussi divers que les céramiques, la chimie, la pharmacie et même le transport maritime à partir de Cherbourg. Le commandant Andrillon a également exprimé son indignation face à la pénétration des industriels allemands dans des domaines stratégiques tels que la fabrication des poudres de guerre, soulignant les risques posés par une usine allemande près de Landerneau, dirigée par un officier de réserve de l'armée allemande. Cette dynamique « d'invasion économique » reflète la vision de Bismarck qui, après la victoire militaire à Sedan, envisageait de remporter un « Sedan commercial » contre la France, consolidant ainsi la suprématie économique de l'Allemagne en Europe.
Sur le reste du continent, on peut noter que l’ambition de l’Allemagne s'est matérialisée par l'utilisation stratégique des communautés d'émigrés allemands (Allemands du Banat, Germano-Baltes, Saxons de Transylvanie, …). Ces derniers ont joué un rôle clé dans la défense des intérêts économiques de l'Allemagne, soutenus par un code de la nationalité facilitant leur engagement envers le « Vaterland » (la Patrie). Ce modèle de coopération trouve ses racines dans l'héritage marchand de la ligue hanséatique, avec les milliers de sociétés de commerce allemandes établies dans les ports de la Baltique. L’Allemagne a alors manœuvré pour manipuler les tarifs des sociétés de transport et monopoliser les circuits de distribution, particulièrement dans les zones d'expatriation, afin de briser la concurrence.
Vers une conquête économique à l’international
Sur le plan international, la stratégie du IIème Reich visait à contester la suprématie économique britannique, notamment en Asie et dans l'Empire britannique (en particulier en Inde). En investissant dans une flotte marchande moderne, l'Allemagne a réduit sa dépendance vis-à-vis des navires britanniques et contourné les routes commerciales sous contrôle britannique, transportant ses marchandises vers des marchés éloignés. Cette stratégie était par ailleurs complétée par la création de la Deutscher Flottenverein (Ligue navale) en 1898 par Alfred von Tirpitz, visant à former un groupe d'intérêt pour soutenir l'expansion de la Marine impériale allemande. L'objectif était également de développer la pression populaire sur le parlement allemand pour qu'il approuve les lois sur la flotte de 1898 et 1900, ainsi que les dépenses afférentes. Cela démontre la prise de conscience par les dirigeants allemands de l'importance vitale de contrôler « l'espace fluide » pour rivaliser avec la thalassocratie britannique et son empire maritime. Pour éviter les droits de douane élevés et les restrictions, l'Allemagne a utilisé des ports neutres pour le transbordement, facilitant ainsi l'entrée de ses produits dans les territoires ciblés à moindre coût. Des réseaux de distribution et de vente sophistiqués ont également été établis, notamment par l'utilisation accrue des consuls allemands (souvent d'anciens hommes d'affaires), permettant une adaptation aux besoins locaux et renforçant la compétitivité des produits allemands. Cette approche a sérieusement défié l'influence britannique en Asie, prouvant l'efficacité d'une stratégie économique bien coordonnée et innovante pour redéfinir les équilibres commerciaux mondiaux.
En complément de la stratégie de transbordement et de l'expansion navale, l'Allemagne du IIème Reich a également poursuivi une politique active de diplomatie économique, caractérisée par la multiplication des traités commerciaux avec plusieurs États clés tels que l'Égypte, le Japon, la Russie, et même l'Angleterre. Parallèlement, l'Allemagne a connu une augmentation significative de ses importations vers des marchés en dehors de l'Europe, notamment le Brésil, les États-Unis, et le Transvaal. Cette expansion reflétait l'ambition allemande de diversifier ses partenariats économiques et de réduire sa dépendance vis-à-vis des marchés traditionnels européens. En se tournant vers le Brésil et les États-Unis, l'Allemagne cherchait à exploiter le potentiel de ces économies en croissance rapide, tandis que le Transvaal, avec ses riches ressources minières, représentait une opportunité pour sécuriser des matières premières précieuses. Cette stratégie globale, combinant diplomatie économique et accès élargi aux marchés internationaux, complétait efficacement les efforts de l'Allemagne pour renforcer sa position comme puissance économique mondiale. En établissant des relations commerciales diversifiées et en augmentant ses importations depuis des régions stratégiques, l'Allemagne du IIème Reicha non seulement contourné le contrôle économique britannique mais a également posé les bases d'un réseau commercial mondial qui soutiendrait son développement industriel et sa croissance économique.
La stratégie d’influence Allemande : l’exemple de l’Empire Ottoman
L'action allemande dans l'Empire ottoman a été caractérisée par une approche sophistiquée de la diplomatie et de l'influence, s'appuyant sur le pouvoir des médias et des correspondants étrangers pour façonner l'opinion publique et les perceptions politiques. Otto Hammann et la politique de presse du ministère des Affaires étrangères ont joué un rôle crucial dans la gestion de l'image de l'Allemagne et dans l'exercice d'une influence politique à travers le reportage médiatique. Les correspondants allemands dans l'Empire ottoman, tels que Arthur von Huhn et Heinrich von Tyszka, ont eu un impact significatif en rapportant des perspectives qui favorisaient les intérêts allemands ou en critiquant les efforts de guerre russes, montrant une préférence pour les Ottomans. La présence et l'activité diplomatique allemande dans l'Empire ottoman ont été marquées par des efforts pour briser les monopoles télégraphiques et contrôler le flux d'informations, illustrant l'importance de la communication et de l'information dans la conduite de la diplomatie et de la politique étrangère. L'Allemagne a également tenté de manipuler l'opinion publique à travers des paiements à des journalistes et des campagnes de presse pour promouvoir une image favorable de ses actions et intérêts dans l'Empire ottoman, tout en contrecarrant les récits négatifs ou concurrents. Les relations entre l'Allemagne et l'Empire ottoman, ainsi que l'utilisation stratégique de l'information et de la presse, ont démontré une approche complexe et calculée de la politique étrangère allemande, visant à renforcer son influence et sa présence dans la région, tout en naviguant dans le paysage médiatique international en constante évolution.
Avec l’arrivée sur le trône de Guillaume II, en 1888, « l’amitié » germano-ottomane prend une autre dimension. Le Kaiser fait de l’empire oriental l’instrument privilégié de sa politique expansionniste (« Weltpolitik »). La coopération militaire s’intensifie : des dizaines d’officiers allemands arrivent dans le Bosphore pour instruire et organiser l’armée ottomane, sous l’autorité, jusqu’en 1895, du maréchal prussien Colmar von der Goltz, alias Goltz Pacha. L’Allemagne en profite pour offrir des contrats juteux à sa puissante industrie d’armement : des canons Krupp et des centaines de milliers de fusils Mauser affluent dans l’empire, au détriment des traditionnels fournisseurs anglais et français. Un arsenal utilisé par les Ottomans contre la Grèce, en 1897, et qui leur permet de remporter une victoire. L’espoir renaît à Constantinople. Surtout que cette coopération militaire se double d’une alliance économique. Les investissements allemands représentent plus de 25 % des mises de fonds venant de l’étranger. L’exemple le plus significatif est incontestablement le chantier stratégique du chemin de fer Berlin-Bagdad.
Une culture du renseignement économique
L'essor économique et industriel de l'Allemagne du IIème Reich ne peut être pleinement compris sans évoquer sa culture du renseignement économique, incarnée par des figures et des stratégies aussi audacieuses qu'efficaces. Alfred Krupp, surnommé le « roi du canon », a transformé l'usine Friedrich Krupp en une puissance industrielle, la Kruppsche Gussstahlfabrik, devenue aujourd'hui partie intégrante de la multinationale ThyssenKrupp AG. Sa réputation s'est construite sur des innovations telles que la production de roues monobloc pour les locomotives, mais c'est dans l'armement que Krupp a réellement dominé. Derrière cette réussite se cachait une pratique moins connue mais fondamentale : le renseignement économique. Sous le pseudonyme de « M. Schroop », le prussien a réussi à s'immiscer dans le cercle des industriels britanniques, recueillant des informations précieuses sur les procédés de production de l'acier sans éveiller le moindre soupçon. Ces « voyages d'études » en Angleterre, où il se présentait comme un simple curieux, lui ont permis d'importer en Allemagne des savoir-faire fondamentaux, propulsant ses entreprises à l'avant-garde de l'innovation. Cette stratégie n'était pas isolée. À une époque où l'Allemagne cherchait à rattraper son retard industriel sur l'Angleterre, de nombreuses entreprises allemandes ont adopté des approches similaires, quoique pas toujours avec la même discrétion que Krupp.
L'exemple de la firme Continental illustre une autre facette de cette culture du renseignement économique, avec une stratégie d'espionnage militaire. Officiellement engagée dans la création d'un guide routier, Continental envoyait en réalité ses agents explorer les régions frontalières de la France, non pas tant pour évaluer les routes que pour inspecter discrètement l'état des fortifications militaires françaises. Cette démarche témoigne d'une stratégie d'espionnage économique où la frontière entre les intérêts civils et militaires s'estompe, reflétant une coopération militaro-civile profondément ancrée dans la stratégie industrielle et économique allemande.