Make Industry Great Again ; les États-Unis à l'heure de la réindustrialisation
Après une heure de gloire à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie étasunienne connaît une période de déclin, qui s’accélère à partir des années 2000, marquées par l’apparition d’un nouveau rival ; la Chine. Face à cette menace, les administrations Trump puis Biden vont prendre des mesures fortes pour lancer un processus de réindustrialisation.
INDUSTRIE
Jules Basset

Cette dynamique signe le retour du nationalisme économique avec des politiques protectionnistes, une reprise de contrôle des chaînes d’approvisionnement et un investissement massif incarné par l’Inflation Reduction Act ou le CHIPS and Science Act. Ces mesures visent à moderniser les infrastructures critiques, à stimuler la production de semi-conducteurs et à renforcer les capacités souveraines dans des secteurs clés comme les terres rares, la technologie ou la transition énergétique. Notre rapport rappelle l'importance d’une stratégie globale, incluant les enjeux de la logistique et de l'accès aux matières premières, vitale pour soutenir une industrie nationale compétitive. Cet état des lieux général s’accompagne d’une étude de cas sur la Louisiane. Véritable hub logistique et énergétique, cet État du sud dispose de plusieurs conditions favorables pour attirer les usines et devenir un acteur majeur de la réindustrialisation étasunienne.
Le déclin de la puissance industrielle, un marqueur de l’affaiblissement des États-Unis
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis étaient « le roi de la production » . La gloire du « Made in America » qui se prolonge pendant la Guerre Froide commence à s’éroder à la fin du millénaire avant d’entamer un déclin significatif au 21ème siècle. La part de l’industrie manufacturière dans le PIB des États-Unis passe alors de plus de 25% dans les années 1960 à 10% en 2020.
L’ouverture des marchés internationaux lors de la phase de mondialisation post-Guerre Froide va profondément modifier le paysage industriel étasunien. La signature des accords commerciaux tels que l’ALENA (1994) et l’entrée de la Chine à l’OMC (2001) devenue « l’usine du monde », vont exposer les fabricants étasuniens à une concurrence accrue de pays à faible coût de production. Entre 2001 et 2018, les États-Unis auraient ainsi perdu près de 3,7 millions d’emplois manufacturiers à cause de la concurrence chinoise. Bien que l’automatisation et l’augmentation de la productivité aient participé à la diminution d’emplois industriels, elle reste une cause secondaire. C’est la concurrence étrangère, en particulier chinoise, qui demeure la raison principale. Il faut néanmoins rappeler la part de responsabilité des acteurs étasuniens dans ce décrochage. Motivées par la recherche de marges plus élevées, de nombreuses multinationales ont fait le choix d’externaliser et de délocaliser les chaînes de production en Asie, sans se préoccuper des conséquences à long terme. En parallèle, les politiques publiques ont joué un rôle ambivalent. Si les subventions et les crédits d’impôt pour la recherche ont soutenu certains secteurs de pointe, comme l’aérospatiale ou la technologie, d’autres industries plus traditionnelles, comme l’acier ou l’automobile, ont été laissées de côté. Cette priorisation a logiquement contribué à creuser les disparités régionales et à fragiliser des écosystèmes industriels entiers. Le déclin manufacturier étasunien, loin d’être un phénomène isolé, s’inscrit dans un contexte global de transformations technologiques, géoéconomiques et politiques.
Il existe un lien étroit entre l’industrialisation du pays et l’état de la balance commerciale étasunienne. Alors que les États-Unis se désindustrialisent et évoluent vers une économie de services à partir des années 1970, leur solde commercial se dégrade progressivement. Il est négatif depuis 1975 et représente en moyenn -3,5% PIB depuis 2000. En plus de la perte économique directe, cette situation érode la puissance étasunienne avec la réduction de capacités dans des secteurs stratégiques (sidérurgie, automobile, informatique, technologie). Or, dans la mesure où l'ordre mondial étasunien est aujourd’hui contesté par d’autres puissances, ces nouvelles concurrences réduisent la marge de manœuvre de Washington.
D’un côté, la Chine souhaite devenir souveraine technologiquement et vise le leadership technologique mondial, en témoigne le rapport « Made in China 2025 » . De l’autre, les États-Unis se sont rendu compte de leur affaiblissement sur certains secteurs critiques. Effectivement, seulement 12 % des semi-conducteurs vendus dans le monde ont été fabriqués aux États-Unis en 2019, contre 37 % en 1990. A l’inverse, alors que la Chine disposait de capacités quasiment nulles en 1990, elles atteignent environ 15% de la demande mondiale dès 2019 (voir annexe 1). Dans sa stratégie technologique, Pékin souhaite doubler ses capacités de production d’ici 2030. Or, la maîtrise des semi-conducteurs, tant en termes de qualité (taille des puces) que de quantité (capacités d’approvisionnement), sera un des enjeux clés dans les transformations technologiques et industrielles du 21ème siècle.
Le déclin dans l’industrie pharmaceutique est également criant. La Maison Blanche considère que ce secteur est aujourd’hui aussi critique que les semi-conducteurs. A titre d’exemple, le déficit commercial des États-Unis en matière d’équipements médicaux était d’environ 7% en 2012, il atteint 14 % en 2018. Par ailleurs, d’après les chiffres de 2020, alors que le monde traversait la crise du COVID-19, la Chine apparaissait comme la principale source d'approvisionnement en matériel médical pour les USA avec 28 % de ses importations. Même l’Inde (cinquième source d’importations pharmaceutiques des États-Unis en 2023), considérée comme une alternative à la Chine, dépend fortement des approvisionnements chinois, en y important environ 70 % des principes actifs.
Face à cette situation, le risque pour les États-Unis est d’être déclassé en matière d’innovation. Même s’ils gardent encore une certaine avance, le déclin industriel pourrait conduire à un déclin en matière de recherches et de développement (R&D).
Pour comprendre cela, il faut revenir sur la notion étasunienne de « industrial commons » . Cette expression désigne les écosystèmes où les entreprises, la main-d'œuvre qualifiée, les fournisseurs, et les institutions académiques se concentrent géographiquement, favorisant la synergie entre les acteurs. Dans les secteurs où l'innovation est fortement liée aux processus de fabrication (métal traité thermiquement, fabrication chimique spécialisée, vin, médicaments biotechnologiques, nanomatériaux, assemblages super-miniaturisés …), ces « bien communs industriels » sont particulièrement importants. La proximité géographique est nécessaire pour le développement rapide de produits complexes où les cycles de vie sont courts et les exigences technologiques élevées. Maintenir la R&D et la production dans un espace commun favorise alors des ajustements rapides et efficaces, essentiels pour rester à la pointe de l’innovation.
Ainsi, le déclin des commons industriels apparaît comme un risque significatif pour la capacité d'innovation du pays et donc pour sa compétitivité. Or, pendant que les États-Unis laissaient ses bases industrielles disparaître, la Chine construisait les siennes.
« Made in America again »
Conscient de ce déclassement progressif, la réaction étasunienne commence avec Obama (2009-2017), mais s’affirme réellement avec l'arrivée de Trump (2017-2021) avant d’être poursuivi par Biden (2021-2025). Elle s’incarne par un retour du protectionnisme, des mesures de guerres commerciales et plus généralement par une politique de nationalisme économique visant à relancer l’industrie étasunienne.
Dès 2018, sous l'administration Trump, une série de mesures protectionnistes ont été introduites, marquant un pivot significatif dans la politique commerciale des États-Unis. Des tarifs douaniers sont ponctuellement ajoutés, jusqu’à 25 % sur l'acier et 10 % sur l'aluminium, appliqués à plusieurs pays (la Chine mais également des partenaires commerciaux majeurs comme le Canada, l'Union européenne et le Mexique). Les États-Unis poussaient d’ailleurs l’Union Européenne à également adopter des droits de douanes sur les métaux importé de Chine.
Il faut noter la dimension transpartisane de cette orientation politique puisqu’en 2024, Biden a également augmenté les droits de douane sur l'acier et l'aluminium chinois. Les mesures visaient aussi l’acier exporté depuis le Mexique mais non fondu sur son sol, afin d’éviter que la Chine ne puisse contourner les mesures protectionnistes. Dans cette guerre commerciale, les États-Unis ont perçu davantage de droits de douanes, sous Biden que sous Trump, illustrant la montée en puissance progressive de cette stratégie étasunienne. Cette dernière devrait d’ailleurs continuer de se mettre en place et de s’accentuer sous le second mandat de Trump.
La planification industrielle étasunienne
Ces mesures défensives s’accompagnent de plusieurs dispositifs visant à financer la réindustrialisation étasunienne. Tout d’abord, il faut mentionner le Bipartisan Infrastructure Law (BIL), ou Infrastructure Investment and Jobs Act (IIJA), promulgué dès 2021. Il s’agit d’un engagement majeur des États-Unis dans la réindustrialisation et d’un renforcement de leurs infrastructures nationales avec un budget total de 1.750 milliard de dollars. Ce programme colossal visait notamment les infrastructures logistiques avec 110 milliards de dollars pour les routes et les ponts, 25 milliards de dollars pour les aéroports, 17 milliards de dollars pour les ports ou encore 65 milliards de dollars pour le réseau électrique (la même somme pour le haut débit). Cette loi comprend le Build America, Buy America Act (BABAA) qui encadre les investissements de la BIL. Des mesures significatives ont ainsi été introduites pour promouvoir les produits et les matériaux étasuniens à travers les exigences du « Buy America ». Ces règles stipulent, par exemple, que les matériaux comme le fer, l’acier, les produits manufacturés et de matériaux de construction utilisés dans les projets soient produits aux États-Unis. Cela inclut des définitions spécifiques pour les matériaux comme le fer et l'acier, qui doivent être fondus et coulés aux États-Unis, ou encore, des dispositions selon lesquelles les matériaux composites doivent comporter au moins 55% de composants fabriqués localement. Ces mesures permettent de soutenir les industries locales, stimuler l'emploi national et surtout réduire la dépendance aux importations, en alignant les investissements infrastructurels avec la stratégie de réindustrialisation.
Il faut également mentionner le CHIPS and Science Act. Voté en 2022, il s’agit d’un programme de dépenses de 280 milliards de dollars visant à encourager la croissance de l'industrie étasunienne des semi-conducteurs. Il comprend notamment 50 milliards de dollars de dépenses consacrées à l'augmentation de la production nationale, 11 milliards de dollars consacrés aux chaînes d’approvisionnement ou encore 39 milliards de dollars d’avantages fiscaux et d’autres mesures incitatives pour la construction d’usines sur le sol national. Le programme comprend également une enveloppe pour la R&D et la formation d’étudiants. De cette manière, les États-Unis affichent clairement leur volonté de revitaliser leurs capacités nationales en semi-conducteurs et de réduire leur dépendance aux chaînes d'approvisionnement asiatiques.
L’Inflation Reduction Act (IRA), promulgué en été 2022 et mobilisant 369 milliards de dollars sur dix ans, est un autre pilier de cette stratégie. La réduction de l’inflation n’est pas le motif principal poursuivi par l’IRA et son enrobage greenn’est qu’une tactique de guerre cognitive. Dans les faits, cette loi s’inscrit pleinement dans la lignée du CHIPS Act. Son objectif est la réindustrialisation avec des subventions massives visant le secteur automobile et les énergies vertes, tout en conditionnant certaines aides à la provenance des composants ou des matières premières, permettant ainsi de toucher d’autres acteurs étasuniens par effet ricochet (acier, semi-conducteurs, …). Il faut noter que cette politique de nationalisme économique expose l’Europe à une distorsion de concurrence, en excluant du marché étasunien certains constructeurs historiques tout en donnant un avantage compétitif aux batteries électriques produites aux États-Unis.
Retour aux bases stratégiques ; énergie, matières premières et logistique
Aujourd’hui, la (re)montée en puissance de l’industrie passe par deux aspects essentiels : un accès aux matières premières et une logistique efficace.
Le gaz naturel liquéfié, un atout pour la réindustrialisation
Tout d'abord, en ce qui concerne les matières premières, l’industrie doit disposer d'un approvisionnement stable à un prix compétitif. Sur le plan énergétique, les États-Unis peuvent notamment compter sur leur gaz naturel liquéfié (GNL), produit dans le sillage du pétrole. En devenant un acteur incontournable du marché, le pays peut à la fois bénéficier d’un bon approvisionnement mais également bénéficier d’un outil d’influence puissant sur les industries concurrentes dépendantes du gaz étasunien (en Europe, en Corée, au Japon, …). Cette situation confère donc aux États-Unis un double avantage compétitif au niveau de son industrie.
En parallèle, il faut noter que certains États fédérés sont très avantagés, exploitant le gaz localement et bénéficiant ainsi de prix encore plus faibles comme le Texas et la Louisiane par exemple (voir annexe 2).
Terres rares étasuniennes et souveraineté minière
En parallèle, les États-Unis connaissent un renouveau de leur industrie minière, marqué par une augmentation des investissements et une amélioration de l'attractivité des juridictions. Ces dernières années, des États fédérés comme l'Utah et l'Arizona ont vu leurs cadres réglementaires et leurs politiques fiscales évoluer favorablement, offrant des conditions plus attractives pour les investisseurs. Cette dynamique est illustrée par l'Utah, qui apparaissait, d’après l’Institut Fraser, comme la région la plus attractive du monde en 2023 (sur 86). Cela résulte d’un potentiel minéral solide et de politiques gouvernementales favorables à l'investissement. L'Arizona (7ème sur 86), connu pour ses vastes gisements de cuivre, continue de jouer un rôle clé dans cette industrie, très importante pour les technologies vertes et les infrastructures énergétiques. Le Nevada (5ème sur 86), quant à lui, reste un leader dans la production d'or et d'argent et pourrait devenir la future « Silicon Valley du lithium » à la suite des aides de l’IRA.
L'essor observé dans ces juridictions est ainsi soutenu par des politiques et des aides fédérales et étatiques visant à réduire les barrières administratives et à encourager les opérations minières. Cela inclut des initiatives pour accélérer les processus de permis, faisant des États-Unis une destination de plus en plus privilégiée pour les investissements miniers.
L'IRA devrait renforcer cette dynamique de retour de souveraineté minière étasunienne et de sécurisation dans l'approvisionnement en matières premières critiques. Effectivement, dans le cadre de ce programme, pour qu'un véhicule électrique soit éligible aux crédits d'impôt prévus, il est exigé que 50 % des minéraux critiques de sa batterie (en valeur) proviennent des États-Unis ou de pays avec lesquels ils ont un accord de libre-échange. Ce pourcentage devrait même atteindre 80 % d'ici 2027. Ce type de mesures incitatives encouragent le développement et l'utilisation de ressources nationales (ou « alliés »), et doivent réduire la dépendance aux importations de la Chine, hégémonique sur le marché des terres rares. Par ailleurs, les effets de l'IRA devraient également se traduire par une augmentation significative de la demande en minéraux critiques.
D'ici 2035, la demande étasunienne de lithium pour la transition énergétique devrait être supérieure de 15 % aux prévisions établies avant l'adoption de l'IRA. Des augmentations similaires sont attendues pour le nickel (14 %), le cobalt(13 %) et le cuivre (12 %). Les taux de croissance annuels composés pour ces minéraux critiques devraient varier entre 20 % et 30 % jusqu'en 2035. La demande en lithium, nickel et cobalt pourrait être multipliée par 23, principalement en raison de l'essor des véhicules électriques, tandis que la demande en cuivre devrait doubler, soutenue par une variété d'applications technologiques et industrielles. Le cuivre, en particulier, représente une opportunité considérable pour les États-Unis. Les réserves de cuivre inexploitées sur le sol étasunien sont estimées à plus de 70 millions de tonnes (environ trois années de production mondiale). Utiliser ces réserves pourrait non seulement satisfaire la demande nationale croissante mais aussi renforcer la position des États-Unis sur le marché mondial des matières premières.
En ce qui concerne les terres rares, essentielles pour les technologies de pointe et les énergies renouvelables, les États-Unis s'efforcent également de reconstruire une chaîne d'approvisionnement complète. Des initiatives sont en cours pour augmenter la production nationale et développer des capacités de raffinage, un domaine où le pays est encore dépendant de l'étranger. Par exemple, des projets visent à extraire des terres rares à partir de déchets miniers ou industriels, offrant une double opportunité de gestion des déchets et de récupération de matériaux précieux. Le développement d'installations de raffinage sur le territoire étasunien est nécessaire pour maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur des terres rares. L'exemple du site de Mountain Pass en Californie illustre cette ambition : autrefois le principal producteur mondial de terres rares, il est en cours de modernisation pour pouvoir transformer la matière première localement et ainsi reprendre une place prépondérante, avec notamment la production d'aimants.
En investissant dans ces infrastructures, les États-Unis renforcent leurs capacités nationales à extraire et produire des ressources essentielles. C’est de cette manière qu’ils pourront réduire leurs vulnérabilités aux perturbations des flux mondiaux, s’assurer un approvisionnement fiable pour leurs industries stratégiques et ainsi, reconstruire une souveraineté minière. Cette dynamique devrait d’ailleurs s’accélérer avec les dernières déclarations du département de la Défense assurant que la sécurisation des minéraux critiques est vitale pour la sécurité nationale étasunienne.
Une task force pour maîtriser la chaîne d'approvisionnement
Enfin, en plus de ces efforts sur le sol national, l’administration Biden a mis en place une Supply Chain Disruptions Task Force en juin 2021 pour renforcer l'efficacité logistique interne et externe du pays. Cette task force, co-présidée par les secrétaires du Commerce, des Transports et de l'Agriculture, vise à résoudre les goulots d'étranglement dans des secteurs clés tels que le transport, l'agriculture et les semi-conducteurs. Une des actions, le Port Infrastructure Development Grant Program se concentre sur les infrastructures portuaires et vise à décongestionner des hubsstratégiques comme Los Angeles et Long Beach en étendant les heures d'exploitation et en allouant des fonds du BIL pour des améliorations des infrastructures.
Il existe déjà projets de construction de terminaux multimodaux avec, par exemple, l’autorité portuaire de Savannah (Géorgie) qui se verra dotée d’un financement de 8 milliards de dollars pour transformer son terminal intérieur à conteneurs en cinq terminaux, répartis en Géorgie et en Caroline du Nord. Ces actions devraient alors permettre d'augmenter la capacité et l'efficacité des ports, accélérant ainsi le flux de matières premières et de produits finis.
De plus, le Freight Logistics Optimization Works (FLOW) a été lancé pour améliorer le partage de données à travers la chaîne logistique, favorisant la transparence et la prévisibilité grâce à l'échange d'informations en temps réel entre les acteurs du secteur (Target, FedEx, UPS, True Value, des expéditeurs maritimes et des ports). Cette initiative facilite la coordination entre les différents maillons de la chaîne d'approvisionnement, réduisant les délais et les coûts.
En rationalisant les processus réglementaires et en accélérant les permis pour les projets d'infrastructure critiques, les États-Unis cherchent à éliminer les obstacles qui entravent l'efficacité de la chaîne d'approvisionnement. Ces mesures combinées devraient permettre de renforcer la résilience logistique du pays, un élément indispensable pour soutenir la réindustrialisation et assurer un approvisionnement stable en matières premières pour les acteurs nationaux.
Étude de cas : la Louisiane dans le « New Industrial South »
Cette réindustrialisation étasunienne semble, en partie, s'ancrer dans le sud du pays. Effectivement, des États fédérés comme le Texas et l'Arizona se transforment progressivement en pôles industriels modernes et attractifs. Par exemple, en 2021, Tesla a inauguré sa gigafactory à Austin, au Texas, avec un investissement de 1,1 milliard de dollars, produisant le Model Y et le futur Cybertruck, et créant des milliers d'emplois locaux. De même, l'Arizona devrait accueillir trois usines de semi-conducteurs de TSMC, entre 2025 et 2030, financées en partie par le CHIPS Act. Or, en comparant plusieurs États du Sud en matière d’investissement en capital annuel, la Louisiane semble se démarquer (voir annexe 3).
Effectivement, dans un contexte favorable pour l’industrie, la Louisiane cherche, elle aussi, à profiter de cette dynamique et son gouverneur, Jeff Landry déclarait en août 2024 qu’il voulait faire entrer l’État dans le « New Industrial South ». Ainsi, bénéficiant d'une position géographique stratégique et de ressources naturelles abondantes, la Louisiane pourrait se positionner comme un État clé dans la réindustrialisation étasunienne.
La Louisiane, futur hub logistique de la réindustrialisation ?
Effectivement, dans le « New Industrial South », la Louisiane se distingue d’abord par ses capacités et son potentiel en termes de logistique. Situé au carrefour du commerce fluvial et maritime, avec un accès au golfe du Mexique et au fleuve Mississippi, l'État abrite le plus grand complexe portuaire des États-Unis grâce aux ports de La Nouvelle-Orléans, de Baton Rouge et du Port of South Louisiana.
Les ports louisianais (plus d’une trentaine en comptant les ports fluviaux) gèrent d’ailleurs prêt de 25 % du commerce fluvial étasunien. Ils constituent la porte d’entrée du fleuve Mississippi, véritable artère commerciale, facilitant les échanges entre tout le Midwest et le golfe du Mexique.
De nombreux projets vont dans ce sens avec par exemple le développement annoncé en 2022 du nouveau Terminal International de Louisiane (LIT) pour 1,8 milliard de dollars sur le bas Mississippi. Cette infrastructure viendra renforcer les capacités du port multimodal de la Nouvelle-Orléans (NOLA) et permettra d’accueillir de plus gros porte-conteneurs, qui devaient auparavant aller sur d’autres ports de la façade Est des États-Unis. L’État dispose de ports en eaux profondes, ce qui constitue un avantage majeur. Les ports louisianais vont bénéficier de l’initiative SmartPort afin d’optimiser le trafic, les flux et les coûts. Au niveau de la logistique terrestre, la Louisiane se situe sur deux des autoroutes ouest/est majeures (Interstate 10 et 20). En 2024, Amazon a d’ailleurs ouvert deux centres de distribution à Shreveport etMonroe, situés le long de l-2O, reliant le Texas à la Caroline du Sud. Cette proximité avec les grands axes logistiques routiers est bénéfique à l’industrie locale puisqu’on constate que le nord-ouest de l’État attire déjà un certain nombre d’acteurs. A Shreveport, il faut noter l’extension de l’usine de Prolec GE, leader des infrastructures énergétiques (en 2023) ou encore l’installation du français SLB dans une ancienne usine de la ville (d’ici 2026). Finalement, avec ses atouts et de l’ambition, la Louisiane pourrait s’ériger comme un hub majeur dans le « New Industrial South ». Enfin, la présence d’un très bon réseau ferroviaire (avec des axes nord-sud et est-ouest), est un autre avantage significatif.
Un géant énergétique…
En parallèle, la Louisiane dispose d’un atout énergétique majeur puisqu’elle dispose d’immense ressource en gaz naturel, représentant plus d’un tiers du GLN étasunien exporté. Alors que la demande mondiale devrait continuer d’augmenter, les infrastructures existantes et les projets en cours confirment la position dominante de l’État louisianais. Par exemple, alors que le terminal Sabine Pass (SPL) peut déjà exporter près de 30 millions de tonnes de GNL par an, un projet d'expansion (en cours d’étude) permettrait d’ajouter 20 millions de tonnes supplémentaires. Le Cameron LNG à Hackberry, situé à quelques kilomètres, dispose d’ailleurs d’une capacité similaire. Ces installations, situées le long de la côte du golfe du Mexique, disposent d’un accès à un port en eaux profondes et peuvent ainsi desservir les marchés en Europe et en Asie, consolidant la position stratégique de l’État dans l’économie mondiale. De plus, d’autres projets devraient renforcer le poids de la Louisiane sur le marché mondial du GNL. Le terminal Woodside Louisiana LNG, dont le démarrage des opérations est prévu d’ici 2028 dans la paroisse de Calcasieu, aura une capacité totale autorisée de 27,6 millions de tonnes par an, soit l’équivalent de la consommation en GNL de la France en 2023. Par ailleurs, la Commission fédérale de réglementation de l’énergie a autorisé Venture Global à construire le terminal CP2 dans la paroisse de Cameron, accompagné du pipeline CP Express reliant cette installation au réseau de gazoducs de l’est du Texas et du sud-ouest de la Louisiane.
En plus de bénéficier de rentrées fiscales importantes, cet avantage gazier permet surtout de disposer d’une énergie à bas coût pour le secteur industriel. À titre d’exemple, en 2022, celui-ci était environ 13% inférieurs à la moyenne nationale, elle-même inférieure aux prix européens.
…futur géant de la transition ?
En parallèle de cette manne énergétique, la Louisiane investit également dans les énergies renouvelables et les technologies bas-carbone. Le projet Cypress Sud-Ouest, dans la paroisse de Calcasieu, et le projet Cypress Nord-Ouest, dans la paroisse de Caddo (en périphérie de Shreveport), visent à développer des solutions de capture directe du carbone dans l’air (DAC). Dans le domaine des biocarburants, le complexe Diamond Green Diesel, à Norco, est un leader mondial dans la production de diesel renouvelable. De même, le Renewable Energy Group, à Geismar, se concentre sur la production de biodiesel, contribuant à la diversification énergétique de l’État. Ces projets, combinés à des initiatives pour décarboner la production de GNL, notamment chez Cameron LNG, illustrent la volonté de la Louisiane de conjuguer développement économique avec les exigences de la transition énergétique. Cette stratégie lui permet de s’inscrire dans la réindustrialisation étasunienne tout en répondant aux exigences en matière de durabilité.
Cette dynamique devrait d’ailleurs gagner en intensité grâce aux nouveaux grands plans étasuniens de réindustrialisation. La Louisiane profite déjà des retombées de l’IRA en matière en chaînes d’approvisionnement en minéraux avec la raffinerie d'alumine de Gramercy, seul producteur étasunien d'oxyde d'aluminium. Par ailleurs, ElementUS annonçait déjà en 2021 un investissement de 800 millions de dollars pour extraire des éléments de terres rares (titane et fer) à partir de 35 millions de tonnes sèches de résidus miniers produits sur ce site. En plus de ce premier projet de recyclage de déchets industriels, la Louisiane pourrait devenir un État central dans le raffinage de terres rares. À cet égard, il faut déjà mentionner l’installation d’une usine de traitement des terres rares à Alexandria en 2024. Tout cela témoigne de la volonté de l’État à devenir un acteur central dans l’industrie des énergies renouvelables étasuniennes.
Toujours en 2024, la Louisiane a ainsi mis en place des politiques fiscales attractives pour stimuler l'investissement industriel. Dans le cadre de la refonte du système fiscal, Jeff Landry, le gouverneur actuel, a mis place de l'Industrial Tax Exemption Program (ITEP) comprenant une réduction de 80 % de la taxe foncière pendant une période pouvant aller jusqu’à 10 ans, une suppression de l'exigence de création/maintien d'emplois et plus globalement, des allégements fiscaux industriels d'une valeur de 185 millions de dollars. Des résultats semblent déjà se faire voir, avec les investissements significatifs d’entreprises louisianaises comme Crescent Coast Energy et Cajun Crossroads Energy, dans l’énergie solaire.De plus, ces mesures pourraient inciter des capitaux texans à venir investir dans l’énergie propre chez leur voisin louisianais.
Le rôle du LED, « le ministère de l’économie louisianais »
Créé en 1936, le Louisiana Economic Development (LED) agit comme le moteur principal du développement économique de l'État. Agissant comme une sorte de « ministère de l’économie louisianais », il cherche à renforcer la compétitivité de l’État, garantir un accès à l'emploi, assurer la prospérité des régions, optimiser les industries existantes et piloter l'écosystème commercial de la Louisiane. Ainsi, son rôle est essentiel dans la transformation de cette dernière en un acteur majeur du « New Industrial South ».
Ainsi, en plus des secteurs déjà cités, le LED soutient le développement de la Louisiane comme un pôle majeur pour les biotechnologies avec, par exemple, le programme Life Sciences qui offre des avantages compétitifs, favorisant l'innovation et la création d'emplois très qualifiés. Des centres de recherche de pointe et des partenariats avec des universités renforcent également cet écosystème. De plus, le LED cherche à encourager l'innovation avec un crédit d'impôt pour la recherche et le développement, qui permet aux entreprises de récupérer une partie de leurs dépenses en R&D. Même chose pour les PME créatrices de richesse qui peuvent bénéficier d’un « Angel Investor Tax Credit », facilitant ainsi leur accès au capital nécessaire pour se développer. En parallèle, des programmes de formation comme le LED FastStart ont pour mission de répondre aux besoins spécifiques des entreprises qui souhaitent s'installer ou se développer en Louisiane. En fournissant une main-d'œuvre qualifiée, le LED cherche ainsi à augmenter l'attractivité de l'État pour les investissements industriels. Le programme Quality Jobs offre des incitations supplémentaires aux entreprises qui créent des emplois bien rémunérés avec des avantages sociaux, renforçant ainsi le marché du travail local et améliorant la qualité de vie des résidents.
2024 ; une montée en puissance industrielle
Plusieurs annonces récentes témoignent alors des succès du LED et de l'attractivité croissante de la Louisiane pour les investisseurs industriels (voir annexe 4).
Cette année, plusieurs projets importants peuvent être cités. En juillet, Southland Industrial Coatings a investi 13,1 millions de dollars pour construire une nouvelle usine de fabrication de produits ignifuges. Cette installation répondra à la demande croissante en produits de protection contre les incendies dans le secteur industriel. En septembre, Fabricated Steel Products a annoncé étendre son usine à Baton Rouge avec un investissement de 3,2 millions de dollars avec l'acquisition de technologies pour accroître la production et améliorer l’efficacité opérationnelle. En octobre, Southland Steel Fabricators a aussi officialisé un investissement de 25 millions de dollars pour agrandir son usine dans la paroisse de St. Helena. En intégrant de nouvelles technologies de soudage et des capacités robotisées, l'entreprise souhaite profiter des exigences du « Buy America » pour répondre à la demande croissante en acier fabriqué sur le sol étasunien. Toujours en octobre, Laborde Products a investi 5,85 millions de dollars pour établir un nouveau centre d'opérations et un entrepôt à Covington. Spécialisée dans la distribution de moteurs et d'équipements industriels, l'entreprise renforce ainsi sa présence en Louisiane et sa capacité à servir le marché régional.
Ainsi, ces exemples illustrent parfaitement l’ambition de réindustrialisation étasunienne et démontrent des capacités de la Louisiane à profiter de cette dynamique. A noter que le conseiller principal de Joe Biden chargé de coordonner la mise en œuvre du BIL (ou IIJA) était Mitch Landrieu, ancien lieutenant-gouverneur de la Louisiane et maire de la Nouvelle-Orléans. La fin de son mandat auprès de l’administration Biden pourrait l’amener à revenir dans son État où il pourrait mettre son expérience au service du développement économique régional.
Enfin, deux autres secteurs stratégiques pourraient profiter de ce mouvement. D’un côté, dans le secteur de la défense, la Louisiane possède un potentiel important, notamment dans la construction navale. Avec l'augmentation de la flotte navale chinoise ces dernières années, les États-Unis vont probablement chercher à renforcer leur capacité maritime et ainsi stimuler les chantiers navals (c’est déjà le cas en Alabama voisin qui a récemment obtenu des contrats pour la construction de modules sous-marins). De l’autre côté, le secteur aérospatial louisianais pourrait connaître une renaissance. Historiquement, le centre d’assemblage de Michoud de la NASA (Nouvelle-Orléans), est « l'usine de fusées de l'Amérique ». Ce site joue un rôle crucial dans la fabrication des fusées du programme Space Launch System (SLS), destinées aux missions lunaires et martiennes.
Avec le regain d'intérêt pour l'exploration spatiale, la Louisiane pourrait alors voir ses activités s'intensifier, générant des emplois hautement qualifiés et stimulant l'innovation technologique dans l'État.
La Louisiane ; une porte ouverte pour la France vers les États-Unis ?
Du point de vue des acteurs français, la Louisiane pourrait représenter une opportunité intéressante, combinant un lien culturel unique, des infrastructures favorables et une économie en pleine expansion. La visite du sénateur louisianais Jeremy Stine en France en octobre 2024, où il a rencontré Emmanuel Macron et Michel Barnier, reflète une volonté claire de renforcer les relations bilatérales. Stine a mis en avant les complémentarités entre les deux régions, notamment dans des secteurs comme l'énergie, les technologies vertes et la biotechnologie. Il a également plaidé pour une collaboration accrue dans des projets industriels et culturels, témoignant de l’ouverture de la Louisiane aux partenariats internationaux.
Certains grands groupes français ont déjà saisi ces opportunités. TotalEnergies, par exemple, est présent dans le secteur de l'énergie en Louisiane, profitant de ses ressources naturelles abondantes et de son rôle clé dans l'industrie énergétique mondiale. De même, Airbus et Safran, dans le domaine de l’aérospatial, ou encore des PME françaises spécialisées dans les technologies avancées, contribuent à renforcer les échanges économiques. Ces entreprises montrent la voie, démontrant que la Louisiane peut être un levier stratégique pour pénétrer le marché nord-américain.
Au-delà des opportunités industrielles, la Louisiane offre également des débouchés pour les produits français, notamment auprès de la communauté cajun, fière de son héritage. La gastronomie, le vin, la mode et d'autres produits associés à l'art de vivre à la française bénéficient d'une image de luxe et de raffinement. Cette perception, combinée à un revenu disponible brut par habitant, 56% supérieur à celui de la France et à un pouvoir d'achat étasunien largement plus élevé, ouvre des perspectives intéressantes pour les exportateurs. Les consommateurs louisianais, sensibles à la qualité et à l'authenticité, représentent une clientèle potentielle pour les produits français.
Conclusion
Au terme de ce rapport, il apparaît que les États-Unis ont amorcé un virage décisif vers la réindustrialisation. Porté par des politiques de nationalisme économique (protectionnisme, CHIPS Act, IRA, Buy America, …), une stratégie de sécurisation des matières premières et une modernisation des infrastructures logistiques, les États-Unis affichent clairement leurs ambitions industrielles. Le « New Industrial South » offre un bon exemple, avec des États, comme la Louisiane, cherchant à se positionner en hubs industriels privilégiés pour attirer les flux économiques.
Ce mouvement, visible depuis le premier mandat de Trump, devrait s’accentuer en 2025 avec le retour du républicain, déterminé à poursuivre l’accroissement de la puissance étasunienne par l’économie.